L’Ascension m’a déliée de mon compagnon, de la joie de Cana, du temps de ces épousailles telluriques célébrées par le vin délicieux des entrailles des coteaux de Galilée. Le temps des libations passe, reste la Source. Je ne l’ai point retenu, le Fils de l’Homme au destin de ciel.
Il est monté physiquement dans la joie des nuages, pasteur de leur transhumance. Il est monté physiquement dans l’air glacé, côtoyant les gaz rares, ouvrant la stratosphère. Tournant les pages les plus subtiles du grand livre terrestre, il a écrit, non de sa main, mais de tout son être, une Bonne-Nouvelle en lettres arc en ciel. Ce qu’il avait creusé dans la profondeur de sa prière a rejailli au plus haut des cieux, à l’empyrée du rêve le plus fou, celui de voler ! Les clous ont volé en éclat. Un irrésistible mouvement de libération a emporté toute clé, toute porte. Le désert et la liberté spirituelle l’ont conduit en une tour d’ autre Jérusalem, cité de lumière navigant sur les reflets d’un océan sans fin. Il est revenu à la Maison du Cœur sans cadastre, qui n’a pas de toit, pas de murs, pas de pièces.
Et de là l’épanchement de sa gloire nous est descendu en pluie d’Esprit-Saint. Comme son flanc a coulé de l’eau, comme ses plaies ont coulé du sang, il a coulé de l’esprit saint sur certains d’entre nous. Il n’a pas coulé sur moi, il n’a pas ruisselé, il m’a inondée. Pentecôte sur la femme ensemencée, grâce sur grâce, plénitude sur plénitude. Femme fontaine de l’amour je suis devenue, aspergeant de bonheur les assoiffés de béatitude autour de moi.
La source a fait maison dans la fontaine, devenue intarissable. Source et fontaine je suis. Je vous le dis au nom d’une Pentecôte saillie dans mes entrailles de ventre de femme. A partir de cette plénitude, Iéschoua est avec moi jusqu’à la fin des temps. J’ose l’avouer. Nous prîmes témoins à Cana, Iohannès Boagernès et Lazare de Magdala mon propre frère . Les noces de Cana étaient nôtres. Le ciel de l’Esprit-Saint et toute la sagesse de la terre me sont aujourd’hui témoins de cette plénitude, de cet achèvement que rien ni personne ne pourra enlever ni soustraire. Le sel est fondu, mêlé à l’eau en une unique saveur d’éternité.
Et si vous êtes paludier de mes écrits, de mes pas terrestres, certes un peu de sel sera ma trace de blanc mais c’est que mon être fera cœur dans les molécules de l’air. A mon tour j’ascensionnerai dans l’espace sans limites car sa présence bleue gît déjà au fond de mon esprit. L’eau retourne à l’eau, le feu ne repousse jamais le feu. Le fond de ma barque est fait de verre. Il sera heureux que vous ayez ce goût de sel dans la bouche en pensant à moi, bienheureuse parmi les bienheureux. Le sel des larmes est bien belle eucharistie !
Incroyable ministère public de trois années suscitant foi et incompréhension. Tant de larmes versées, de joie, de douleur, de tristesse, parfois de rage, à former une mer. Une mer de larmes imbibée d’ un mystère alchimique de sel. Ce sel revenu de toute tristesse ouvre la pierre des chemins, dissout tous les chemins de ciel et de terre. Où est le chemin quand on est arrivé ?
Arrivé où ? A l’esprit de vérité, à l’esprit de vérité !
Je suis immobile depuis quelques lunes
aujourd’hui une bergeronnette s’est posée sur ma tête
On me confondrait à un tronc d’arbre
dans mon apparat de rameaux tressés.
Je suis immobile telle une gisante
assise en triangle sur le sommet du massif
de Sainte Baume
mon beau vaisseau de pierre
navigant sur la crête du quaternaire.
Je suis immobile, un vœu que rien ne saurait délié
ni le vent, ni la foudre ni la nuit ni la pluie
pétrifiée dans la seule gloire du soleil.
Je sors de la nuit par la gargouille du crépuscule
car je suis maintenant
fondue dans la lumière
sans source.
Un de mes noms d’amour susurré
par la bouche de Iéschoua
était Sandhya
Il me disait l’avoir rapporté d’orient
plus précieux qu’une épice rare
et signifiant cette lumière crépusculaire
d’après le coucher du soleil.
Je comprends maintenant qu’il me préparait
à sa Pâque, à son passage d’invisibilité, de gloire
et d’invincibilité.
Je le relie ce nom à cet autre dont il me baptisa
secrètement dans une coulée de nuit d’amour :
Zohar
Zohar, autre moment d’une lumière d’aube
précédant l’émergence rouge du pain azyme circulaire
sur la ligne d’horizon
Je quitte le jour par l’aurore
et m’enfonce dans la nuit sans rémission d’étoile
depuis que l’immobilité extatique m’a envahie.
Je souris imperceptiblement
extase de Zohar
enstase de Sandhya
La bergeronnette n’a pas conscience
qu’il y a de l’humain sous son poitrail
à faire son nid dans ma chevelure
je vais envoyer des oisillons
en déguisement de concept ailé
Je suis l’immaculée Conception
d’un sourire d’enfant
Je connais la neige rare de la Méditerranée du nord
à tourner à l’envers du rayonnement des jours
de crépuscule en aurore
Je suis immobile laissant le Seigneur œuvrer
dans mon temple, les vitraux de mon cœur
clos sur le mystère de cette chambre nuptiale
Ah oui ! cœur battant à l’unisson de toutes les sources
mais lente, si lente cognée
qu’on dirait le fond de la mer.
Le fond de la mer
dans le creux des paumes ramassées en coquillage
au jusant de la Sainte Baume.
Le craquement du silence
me recentre dans l’épaisseur du feu
assentiment du bois
à ce qui fait clarté de clairière
il y a en moi un feu si puissant
qu’il met en incandescence
toute velléité
de pensée
curieux qu’il ne flambe pas mes cheveux
chaque perle ignée de ce rosaire égrené
imbibe le clair de l’esprit
au chemin du désert
je dors, prie et médite en cette grotte
Ascension, Pentecôte, Navigation
tout est repos désormais
je laisse Simon Pierre et les autres emprisonner Iéschoua
au tombeau doré d’une nouvelle religion
la nourriture me vient du ciel
elle descend en pente douce
comme une manne de miel
à la lisière de tout éther
céréales poussées dans les nuages
d’une eucharistie heureuse
On me dit yogini de Sainte Baume
j’ai oublié visage d’humain
habillée de vent
de feuillage tenu par cordelette
et de vacuité d’angélus
Le craquement du feu
me recentre à chaque instant
dans l’épaisseur du silence.
mille choses et mille êtres
je les voyais par mes yeux
depuis que Tu y as frotté
les braises de ton soleil
je ne vois plus que Toi, que Toi !
A la porte du Jardin
je me souviens
au bout d’une allée
d’un bassin où s’abreuvaient
de blanches tourterelles
ailes battantes, ailes battantes !
La Messe au vin blanc
c’est
plutôt le coassement d’une grenouille
en milieu humide
que le grand orgue de l’église paroissiale
un globe de lune blanche
sur la tête de la Grande Déesse
plutôt qu’un vitrail marial
fut-il fuseau d’étoiles
la Messe au vin blanc
je la célèbre sur un dolmen cassé
en trois morceaux de granit
plutôt qu’au maître-autel
d’un retable baroque
Voilà à minuit dans une forêt
de chênes liège
mon chemin de joie
vers Pentecôte
avec pour invités
les amis de la taverne
où l’on trinquait à même les cœurs
remplis d’un vin d’amitié
-au-delà de ma simple croyance-
je prie l’Awen
de guider mes faits, mes gestes et paroles
et de m’accorder
la sagesse de l’ hêtre.
On est bien
sur ces collines,
rien ne peut
nous arriver.
J’y prends refuge.
Reste
à allumer
les millions
d’encensoirs tournesols
par le thuriféraire
de la religion
du paysage.