J’ai de la parole qui pousse comme le bourgeon boute sous les assauts de sève. J’ai un verbe qui fleuve sous la pierre de la source, à la margelle du puit. Chaque feuille de vert tendre invite à l’écriture du Cantique des Cantiques, le feuillage est bréviaire, la canopée psautier du Grand Silence. Gémissement de branche. Chaque feuille en reliure d’arbre tourne la page d’un livre de vie. Il y a les rondes et les blanches d’un solfège grégorien qui éclosent une à une en une liturgie de bouche à bouche. Le chant généralisé monte de la terre dans la rotonde de ciel clair soutenue par de puissants arbres. Quand le dernier sera abattu, le ciel s’effondrera sur nos têtes. Tant qu’il y aura des arbres sur la terre, le ciel restera suspendu au ciel. Planter un arbre c’est consolider l’axe du monde. Fortifions nous de la parole des arbres. Une parole par saison proférée chaque année de plus haut. La forêt est le lieu de la musique sur un xylophone de pluie. Je vis de cette musique qui traverse les flancs boisés de la montagne. Je suis bien.
La foudre est mon évangile, le tonnerre mon lutrin. Les oiseaux autour de moi pépient la Bonne Nouvelle à un tapis de camomilles romaines. Certaines nuits anniversaires, la Sainte Baume monte en droite ascension de ciel. Je me souviens de mon corps, le jour revenu. A moins que ce ne soit le surlendemain. L’ordre est mon sentier, le temps mon cilice. Il me revient le goût de naître. Et de retrouver mon Bien-Aimé, au centre du soleil.
Tressaillement de Pentecôte qui monte de la terre à mes paumes. Mes doigts sont bougies de ferveur soudainement allumées devant l’icône de la Sainte Présence. Offrande de la messe de ma main de feu aux cinq flammes. Levée d’épaule par la force motrice des anges. Dix lumières dressées sur le chandelier de mes deux bras. La tête est l’habit de feu du cierge pascal de mon corps. Ce feu réchauffe une terre endormie, éclôt des semences oubliées dans le chavirement des automnes de ma chevelure. Je suis revêtue de mon habit de fête safrané, au cœur d’ignition blanche. Vous ne pouvez sculpter ma flamme qui n’est point d’aile déployée, à peine dressée sur mon flanc. Je reçois la force d’en haut, tel un arbre en lavis, caressé des aquarelles de la pluie sur le toit du ciel. Je reçois la force par le milieu du corps qui m’enroyaume selon la promesse divine.
Si mes doigts font bougies c’est pour étreindre la nuit privée d’étoiles. A la lueur de mes doigts je prie mon Seigneur dans la grotte de Sainte Baume. Iéschoua est passé dans le domaine des grands transparents, ces supérieurs Inconnus aux corps d’invisibilité. Ce corps cependant devant mes mains dressées se dessine Souffle et je l’effleure comme un pinceau de couleurs sur le bois de l’icône. La plus belle icône sera toujours l’aptitude des yeux à regarder le cœur.
La force de Pentecôte lève les bras à l’équerre des côtes dans un geste de symétrie parfaite.
Je mets ma main au feu. Puis l’autre. Et vous transmets cette chaleur du feu qui ne brûle pas. Vous ferez forêt de mille éclosions actives. Vous serez forêt qui ne mérite abattage, fut-ce pour les piliers d’un beau temple. Vous serez Eglise vivante de cette imposition de mes mains de flammes, de mes mains de femme.
Une telle force d’amour cherche à se propager, ne peut se contenir ni se retenir. Elle fait église d’ essaimage en essaimage, dans le virevoltement mellifère des eucharisties florales. Amen.
J’ai bu au calice de la volupté au temps des noces, au temps de Cana. Puis j’ai bu le Graal de Son sang au « Pessar » de Jérusalem. Maintenant je bois de tout mon être à celui tendu par un bras d’ange un long Trait de lumière, une lapée de feu et de lave des volcans du paradis.
L’Ascension m’a déliée de mon compagnon, de la joie de Cana, du temps de ces épousailles telluriques célébrées par le vin délicieux des entrailles des coteaux de Galilée. Le temps des libations passe, reste la Source. Je ne l’ai point retenu, le Fils de l’Homme au destin de ciel.
Il est monté physiquement dans la joie des nuages, pasteur de leur transhumance. Il est monté physiquement dans l’air glacé, côtoyant les gaz rares, ouvrant la stratosphère. Tournant les pages les plus subtiles du grand livre terrestre, il a écrit, non de sa main, mais de tout son être, une Bonne-Nouvelle en lettres arc en ciel. Ce qu’il avait creusé dans la profondeur de sa prière a rejailli au plus haut des cieux, à l’empyrée du rêve le plus fou, celui de voler ! Les clous ont volé en éclat. Un irrésistible mouvement de libération a emporté toute clé, toute porte. Le désert et la liberté spirituelle l’ont conduit en une tour d’ autre Jérusalem, cité de lumière navigant sur les reflets d’un océan sans fin. Il est revenu à la Maison du Cœur sans cadastre, qui n’a pas de toit, pas de murs, pas de pièces.
Et de là l’épanchement de sa gloire nous est descendu en pluie d’Esprit-Saint. Comme son flanc a coulé de l’eau, comme ses plaies ont coulé du sang, il a coulé de l’esprit saint sur certains d’entre nous. Il n’a pas coulé sur moi, il n’a pas ruisselé, il m’a inondée. Pentecôte sur la femme ensemencée, grâce sur grâce, plénitude sur plénitude. Femme fontaine de l’amour je suis devenue, aspergeant de bonheur les assoiffés de béatitude autour de moi.
La source a fait maison dans la fontaine, devenue intarissable. Source et fontaine je suis. Je vous le dis au nom d’une Pentecôte saillie dans mes entrailles de ventre de femme. A partir de cette plénitude, Iéschoua est avec moi jusqu’à la fin des temps. J’ose l’avouer. Nous prîmes témoins à Cana, Iohannès Boagernès et Lazare de Magdala mon propre frère . Les noces de Cana étaient nôtres. Le ciel de l’Esprit-Saint et toute la sagesse de la terre me sont aujourd’hui témoins de cette plénitude, de cet achèvement que rien ni personne ne pourra enlever ni soustraire. Le sel est fondu, mêlé à l’eau en une unique saveur d’éternité.
Et si vous êtes paludier de mes écrits, de mes pas terrestres, certes un peu de sel sera ma trace de blanc mais c’est que mon être fera cœur dans les molécules de l’air. A mon tour j’ascensionnerai dans l’espace sans limites car sa présence bleue gît déjà au fond de mon esprit. L’eau retourne à l’eau, le feu ne repousse jamais le feu. Le fond de ma barque est fait de verre. Il sera heureux que vous ayez ce goût de sel dans la bouche en pensant à moi, bienheureuse parmi les bienheureux. Le sel des larmes est bien belle eucharistie !
Incroyable ministère public de trois années suscitant foi et incompréhension. Tant de larmes versées, de joie, de douleur, de tristesse, parfois de rage, à former une mer. Une mer de larmes imbibée d’ un mystère alchimique de sel. Ce sel revenu de toute tristesse ouvre la pierre des chemins, dissout tous les chemins de ciel et de terre. Où est le chemin quand on est arrivé ?
Arrivé où ? A l’esprit de vérité, à l’esprit de vérité !
Je suis immobile depuis quelques lunes
aujourd’hui une bergeronnette s’est posée sur ma tête
On me confondrait à un tronc d’arbre
dans mon apparat de rameaux tressés.
Je suis immobile telle une gisante
assise en triangle sur le sommet du massif
de Sainte Baume
mon beau vaisseau de pierre
navigant sur la crête du quaternaire.
Je suis immobile, un vœu que rien ne saurait délié
ni le vent, ni la foudre ni la nuit ni la pluie
pétrifiée dans la seule gloire du soleil.
Je sors de la nuit par la gargouille du crépuscule
car je suis maintenant
fondue dans la lumière
sans source.
Un de mes noms d’amour susurré
par la bouche de Iéschoua
était Sandhya
Il me disait l’avoir rapporté d’orient
plus précieux qu’une épice rare
et signifiant cette lumière crépusculaire
d’après le coucher du soleil.
Je comprends maintenant qu’il me préparait
à sa Pâque, à son passage d’invisibilité, de gloire
et d’invincibilité.
Je le relie ce nom à cet autre dont il me baptisa
secrètement dans une coulée de nuit d’amour :
Zohar
Zohar, autre moment d’une lumière d’aube
précédant l’émergence rouge du pain azyme circulaire
sur la ligne d’horizon
Je quitte le jour par l’aurore
et m’enfonce dans la nuit sans rémission d’étoile
depuis que l’immobilité extatique m’a envahie.
Je souris imperceptiblement
extase de Zohar
enstase de Sandhya
La bergeronnette n’a pas conscience
qu’il y a de l’humain sous son poitrail
à faire son nid dans ma chevelure
je vais envoyer des oisillons
en déguisement de concept ailé
Je suis l’immaculée Conception
d’un sourire d’enfant
Je connais la neige rare de la Méditerranée du nord
à tourner à l’envers du rayonnement des jours
de crépuscule en aurore
Je suis immobile laissant le Seigneur œuvrer
dans mon temple, les vitraux de mon cœur
clos sur le mystère de cette chambre nuptiale
Ah oui ! cœur battant à l’unisson de toutes les sources
mais lente, si lente cognée
qu’on dirait le fond de la mer.
Le fond de la mer
dans le creux des paumes ramassées en coquillage
au jusant de la Sainte Baume.
Le craquement du silence
me recentre dans l’épaisseur du feu
assentiment du bois
à ce qui fait clarté de clairière
il y a en moi un feu si puissant
qu’il met en incandescence
toute velléité
de pensée
curieux qu’il ne flambe pas mes cheveux
chaque perle ignée de ce rosaire égrené
imbibe le clair de l’esprit
au chemin du désert
je dors, prie et médite en cette grotte
Ascension, Pentecôte, Navigation
tout est repos désormais
je laisse Simon Pierre et les autres emprisonner Iéschoua
au tombeau doré d’une nouvelle religion
la nourriture me vient du ciel
elle descend en pente douce
comme une manne de miel
à la lisière de tout éther
céréales poussées dans les nuages
d’une eucharistie heureuse
On me dit yogini de Sainte Baume
j’ai oublié visage d’humain
habillée de vent
de feuillage tenu par cordelette
et de vacuité d’angélus
Le craquement du feu
me recentre à chaque instant
dans l’épaisseur du silence.
J’ai lu des poèmes
jusqu’à épuisement
puis me suis endormi,
une fois réveillé,
surpris d’être mort !